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#3 — La mode et l’économie collaborative

Pour ce troisième volet, nous analysons l’application de l’économie collaborative dans l’industrie de la mode. Quels avantages pour les marques, les consommateurs et les fabricants ?
Nous vous emmenons à la découverte d’entreprises innovantes et durables, qui ont su saisir les bénéfices de l’économie collaborative pour renforcer leur proposition de valeur et leur modèle d’affaires.
1. Mais d’abord, l’économie collaborative, c’est quoi ?
L’économie collaborative, également appelée économie de partage, est une économie de pair à pair.
Elle repose sur le partage ou l’échange entre particuliers de biens (voiture, logement, parking, perceuse, etc.), de services (covoiturage, bricolage, etc.), ou de connaissances (cours d’informatique, communautés d’apprentissage, etc.), avec échange monétaire (vente, location, prestation de service) ou sans échange monétaire (dons, troc, volontariat), par l’intermédiaire d’une plateforme (numérique comme physique) de mise en relation.
Selon le rapport du Sénat de 2017(nouvelle fenêtre), “l’économie collaborative, ou économie des plateformes en ligne, n’est pas un simple effet de mode, mais une tendance de fond. En Europe, elle a représenté 28 milliards d’euros de transactions en 2016, un montant qui a doublé en un an. En 2025, elle pourrait atteindre 572 milliards d’euros”. (Source : Vie Publique)
Ce modèle présente de nombreux avantages
Un potentiel de croissance très rapide liée à une offre diversifiée qui ne demande que très peu de ressources (principalement les coûts de développement de la plateforme et de distribution)
La création d’une communauté de client(e)s fidèles basée sur la confiance et un lien expérientiel très fort
Une durabilité environnementale liée à un meilleur taux d’utilisation ou de consommation des biens et souvent des circuits courts
Une durabilité sociale issue du lien social créé par l’échange et le partage
Une durabilité économique via des économies souvent réalisées par les acheteurs (moins d’intermédiaires) et de nouveaux revenus générés pour les vendeurs
Les limites de ce modèle pour qu’il puisse être « véritablement » collaboratif sont de 3 ordres
Le pouvoir d’influence des contributeurs quant au calcul et/ou à la distribution de la valeur d’échange (puis-je fixer librement le prix du T-shirt que je veux mettre en vente sur une plateforme ?)
Le partage de la valeur d’échange avec les contributeurs (quelle est la commission que je dois payer pour accéder à la plateforme et est-elle équitable par rapport à la valeur du bien que je possède?)
L’intégration dans le modèle des « externalités » négatives, sociales et/ou environnementales (quelles conséquences de mon modèle sur la précarité des livreurs, l’impact environnemental de la distribution, la confidentialité et l’utilisation des données, … ?)
2. Collaboration entre consommateurs pour prolonger la durée de vie
L’essor des plateformes digitales a permis au modèle collaboratif de particulier à particulier de se démocratiser. Les exemples les plus connus sont dans le secteur automobile et immobilier avec BlaBlaCar et AirBnb.
Mais le secteur textile n’est pas en reste, avec la plateforme Vinted qui est en pleine croissance, malgré la crise du covid-19. En effet, la marque représentait 20% des parts du e-commerce en France pendant le mois d’Avril 2020, et a recensé une hausse de 17% du nombre d’annonces sur la plateforme depuis la fin du confinement.
Vinted est une plateforme de vente et d’échanges de vêtements de particulier à particulier.
La plateforme est un intermédiaire entre les pairs et permet de :
Proposer une offre très diversifiée (modèles, couleurs, tailles, …)
Sécuriser les transactions (logiciel de paiement sécurisé, partenariat avec des livreurs, notation des profils membres)
Faciliter les envois (instructions, ergonomie de l’UX)
Elle se rémunère via une commission de 5% de la vente collecté au près du vendeur.
La France est le marché européen le plus important pour la plateforme. Sur les 30 millions d’utilisateurs inscrits, 12 le sont en France.
Une autre plateforme, plus récente, permet la location de vêtements de particuliers à particuliers : My Golden Closet. La semaine dernière, nous discutions de l’économie fonctionnelle où la plateforme agit comme logisticienne de la mise en location des habits (stock, envoi, pressing…). Ici, elle est simplement facilitatrice de la mise en relation des personnes souhaitant louer.
Dans les deux cas, les frais pour la plateforme sont moindres, et la croissance n’est pas freinée par des contraintes financières, logistiques, ou de stock, puisque ce sont les particuliers qui ont la main sur les produits et leurs envois.

3. Collaboration entre marques et consommateurs pour optimiser le design des produits
Une multitude de jeunes marques ont éclos ces dernières années, ayant à cœur de placer les besoins du consommateur au centre du développement de leurs produits.
Grâce aux réseaux sociaux et à une communication vraiment transparente, ces marques arrivent à bâtir une communauté engagée autour de leur projet : Asphalte, Réuni, Loop, PATiNE ou encore Hopaal, consultent systématiquement leur communauté avant, pendant et après la conception de leurs nouveaux produits.
Cette co-construction concerne :
L’orientation du développement de l’offre produit :
Asphalte sonde sa communauté pour savoir quel serait le produit le plus apprécié à développer : « Avez-vous plutôt besoin d’un nouveau legging de sport ou d’un gros pull en laine ? »
Le cahier des charges du produit :
Hopaal demande quelles couleurs, motifs et formes plairaient davantage à sa communauté pour orienter ses équipes de designers. La marque sonde également le prix que ses clients sont prêts à payer pour chaque produit et s’assure ainsi que l’offre correspond à la demande.
Loom comme Asphalte consultent régulièrement leur communauté pour élaborer des produits particulièrement durables dans le temps, notamment pour connaître les possibles failles du vêtement qu’ils sont en train de concevoir.
Lectra est une entreprise qui développe des solutions technologiques à la croisée entre les marques et l’industrie. Sa nouvelle offre « Fashion on Demand » permet aux clients d’un magasin de vêtements de commander un article customisé selon leurs goûts, via un logiciel. Une fois la commande enregistrée, elle est instantanément transmise à l’usine via le Cloud, et produite à la demande. Des avancées technologiques peuvent ainsi aider les marques, les usines et leurs consommateurs vers une production et une consommation plus durables.
L’amélioration du design produit, notamment via les avis post-achat :
Après une étude auprès de leurs clients, Hopaal a ainsi revu le design de son maillot de bain été pour mieux répondre à leurs attentes : culotte moins échancrée et davantage taille haute.

4. Collaboration entre marques et consommateurs pour déterminer la valeur des produits
Une autre tendance de collaboration entre les consommateurs et les marques est en train de naître : celle de laisser le choix au consommateur d’évaluer la valeur des biens qu’ils achètent. Seules les marques les plus transparentes se lancent dans une telle démarche, car elles ont donné suffisamment de visibilité à leurs clients pour qu’ils puissent estimer le prix qu’ils sont prêts à payer pour ce bien.
Par exemple, Maison Standards qui ne pratique pas les soldes mais s’efforce de diminuer les stocks de ses produits qui ne seront pas reconduits, a mis en place le « Pay as you Like ». Au moment de procéder à l’achat, le client choisit entre le prix bas, moyen et fort. Maisons Standards explique que même si 80% des acheteurs payent le prix bas (qui couvre les frais de matière, production et transport), 16% payent le prix moyen (couvre la rémunération de l’équipe en plus) et 4% le prix fort pour soutenir le projet (finance de nouveaux projets et le développement. L’avantage majeur est d’accompagner le client dans sa réflexion sur la valeur du bien qu’il achète. En se posant cette question, l’article acheté prend automatiquement de la valeur aux yeux du client ; il n’achète plus un simple vêtement, mais un vêtement conçu dans une usine par une personne et issue de matières premières récoltées par d’autres personnes.
5. Collaboration entre consommateurs et artisans indépendants
Les plateformes collaboratives ont aussi permis aux artisans indépendants d’obtenir de la visibilité et de pouvoir vendre leurs produits à un plus large public.
Ainsi, les artisans évitent les frais de développement d’un site d’e-commerce, bénéficient d’une plateforme ergonomique et bien référencée, mais aussi d’une plus forte crédibilité de leur offre grâce aux retours des consommateurs et à la promotion de leurs produits par la plateforme.
Plusieurs types de plateformes se sont développées sur ce modèle :
Etsy, une plateforme internationale qui relie des créateurs et revendeurs d’objets uniques et créatifs faits main ou vintage, est en pleine croissance. Les derniers chiffres publiés par la plateforme sont sans équivoque : +21,4% de CA au deuxième trimestre 2019 vs. 2018 et +19% d’acheteurs actifs pour attendre presque 43 millions.
Avec plus de 66 millions d’objets répertoriés sur la plateforme (et 2.8 millions de vendeurs), et avec l’aide de filtres poussés pour faire le tri, les acheteurs sont orientés pour trouver des objets uniques et faits main qui correspondent à leur recherche.
Etsy possède une plateforme homologue française et vendant des produits artisanaux du monde entier : Fait-Maison !
Afin de soutenir l’économie locale et la Made In France, il existe également YaDuTalent, une plateforme qui fonctionne sur le même modèle qu’Etsy, mais dont le répertoire de produits est exclusivement français et centré sur quelques artisans, producteurs, marques phares et bien mises avant.

6. Collaboration entre marques afin d’optimiser la production, la distribution et/ou de mutualiser les stocks
Les marques qui font partie d’un même groupe ou qui décident de développer des projets collaboratifs peuvent en tirer de nombreux avantages : mutualisation des stocks, des invendus, de l’achat de matières premières… Les opportunités de réduire les coûts et les pertes aussi bien matérielles que financières sont très larges.
En 2017, la famille Mulliez fonde Fashion3 (prononcé « Fashion Cube »), un groupement d’intérêt économique composé des 7 enseignes de mode du Groupe : Pimkie, Jules, Brice, Brizbee, Orsay, Grain de Malice et Rouge Gorge.
L’objectif est de créer des synergies mais également de faire des économies d’échelle grâce à un écosystème autonome, coopérant et interconnecté qui permet aux marques d’être mieux armées face aux grands groupes internationaux.
Fashion3 a pour projet de concevoir une usine textile automatisée dans les Hauts-de-France (ouverture prévue en 2021) servant à la confection d’un unique produit : le tee-shirt. D’ici 2023, l’entité produira 3,7 millions de pièces par an.
Ce projet donne aux marques trois avantages majeurs :
Relocaliser une partie de leur production
Partager les coûts de production avec l’ensemble des partenaires
Mutualiser les stocks
Les marques peuvent ainsi « piocher » dans le stock de l’usine en fonction de leur demande, réduisant ainsi le gaspillage dû à la surproduction. Par la suite, l’usine pourrait accueillir la production d’enseignes de mode qui ne font pas partie de l’écosystème Fashion3, dans une logique de partage de compétences.

Comme on le voit, l’économie collaborative recèle, sous certaines conditions développées plus haut, de vrais potentiels pour construire un modèle de la mode durable : aussi bien dans l’optimisation de la consommation d’un bien que dans sa faculté à créer du lien social ou dans l’accessibilité qu’il donne à un grand nombre de consommateurs.
En ce sens, il répond très bien au triple défi qui se profile devant nous :
Comment créer de l’activité économique en réduisant (significativement) notre impact environnemental et en développant des liens de sociabilité et de confiance entre consommateurs et/ou entre marques et consommateurs ?