- imaginableforgood
Les néonicotinoïdes et l’enjeu de la (double) posture
ou pourquoi nos hommes politiques n’ont fondamentalement toujours pas compris comment appréhender notre futur (si l’on veut vraiment en avoir un !)

Premier constat du vote de la semaine passée à l’assemblée sur l’exception de la betterave dans l’utilisation des fameux néonicotinoïdes tueurs d’abeille : il n’y a pas que des anti-amishs à l’Assemblée! Du PC aux LR en passant par certains Marcheurs, des voix concordantes se sont élevées pour dénoncer ce recul d’une décision pourtant actée de supprimer totalement cette classe d’insecticide dont les conséquences létales sur la biodiversité ne sont plus à démontrer.
Plus sérieusement et de façon plus inquiétante pour notre avenir, ce vote est symptomatique d’une incapacité d’une majorité de nos hommes politiques (et malheureusement quelques femmes) à changer de posture, à la fois d’un point de vue intellectuel et mental.
Sur le plan intellectuel, l’enjeu est de passer d’une posture dominatrice, utilitariste, prédatrice à une posture d’empathie, de synergie, de collaboration en « bonne » intelligence avec la nature.
Comprendre que nous ne sommes qu’une partie du vivant et que sans les abeilles nous perdons 30 à 40% de tout ce que nous mangeons, sauf à construire, comble de l’absurdité humaine, des drones pollinisateurs (ce n’est malheureusement pas de la science-fiction!). Partant de cet « impératif » biologique que l’abeille doit être au centre de nos préoccupations, il faut pour autant trouver des solutions, en particulier pour les agriculteurs qui ont un risque réel de perdre toute ou partie de leur récolte donc de leurs revenus.
A court terme, il y en a une sur laquelle on n’aurait pu se poser la question d’un soutien des pouvoirs publics, à savoir l’assurance en cas de perte de récolte. On aurait de fait très bien pu proposer un mécanisme de compensation financière issu de fonds publics pour les exploitations touchées par la jaunisse de la betterave, au nom justement de cette interaction essentielle pour notre avenir entre l’homme et la nature. Et adresser ainsi un message clair et irrévocable aux firmes phyto agricoles qu’elles doivent réorienter leur R&D.
A moyen et long terme, on pourrait s’inspirer par exemple de ce qu’ont fait les cubains qui, n’ayant de fait pas accès aux produits sanitaires sous embargo, ont développé sans la nommer ainsi, des techniques de permaculture où des espèces protègent d’autres espèces (voir ce reportage d’Arte sur le sujet). Cela suppose évidemment de s’affranchir des lobbies de grandes firmes qui n’ont pas intérêt à ce que leur pré carré (cultivé aux pesticides...) ne soit remis en cause. Cela suppose également de changer de paradigme pour entrer dans cette approche biomimétique (qui s’inspire de la nature) pour trouver des solutions à nos problèmes. Cela suppose enfin de soutenir tant par des conseils que par des financements les agriculteurs qui souhaitent s’engager dans cette transition permaculturelle ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui. Rappelons qu’à ce jour, seul la conversion en bio est subventionnée, alors qu’elle ne prend absolument pas en compte la qualité des sols. D’où des exploitations certifiées bio avec des sols ravinés et appauvris qui non seulement ne captent pas de carbone mais participent au réchauffement général en en émettant dans l’atmosphère.
De la posture intellectuelle à la posture mentale
Ce qui nous amène à l’autre posture, à savoir la posture mentale, pour d’abord accepter le changement et ainsi pouvoir travailler sur des solutions pour notre avenir.
Car ce que nous montre ce vote, c’est la difficulté de nos hommes politiques (comme de nous-mêmes) à passer d’un mode mental automatique à un mode mental adaptatif. Autrement dit d’un mode de pensée rétif au changement et qui réagit par le déni et/ou la fuite à un mode de pensée ouvert et curieux, qui va permettre grâce à notre créativité et notre intelligence collective de trouver des solutions y compris dans des cas complexes qui peuvent apparaître comme antinomique.
Dans notre cas, cette antinomie perçue, qui se traduit par une « dissonance cognitive » dans notre cerveau, est la nécessité d’un côté de prendre en compte l’effondrement de la biodiversité que nous provoquons depuis des décennies et de l’autre les craintes justifiées des agriculteurs de perdre l’essentiel de leur récolte, qui plus est dans un contexte d’extrême tension sociale lié à la crise sanitaire actuelle.
Pour résorber cette dissonance cognitive, il est essentiel d’élaborer des mécanismes « d’ergonomie cognitive » qui vont faciliter ce passage du mode mental automatique au mode mental adaptatif.
D’une façon générale, il s’agit à la fois de jouer sur la perception de la situation (les différents enjeux environnementaux et économiques en cause), le raisonnement face à cette situation (les différents scénarios possibles en montrant qu’il existe des alternatives crédibles et viables pour garder ce principe de coopération avec la nature ) et la décision (ici d’assumer à court terme une dépense publique au nom de notre avenir commun pour aider les agriculteurs à surmonter cette épreuve tout en mettant en place des mécanismes progressifs d’évolutions profondes de notre système agricole).
Le plus dommage dans cette histoire est qu’en agissant de la sorte et en accompagnant cette décision d’une explication pédagogique et récurrente, démontrant une action cohérente dans la durée, nos gouvernants pourraient (enfin!) voir revenir cette confiance qui leur fait tant défaut et dont le déficit s’est encore aggravé durant cette crise que nous traversons.
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